La vie à défendre
1erpetitbleuSuite au This Week de Mike Norris en date du 19 Mars dernier concernant ses réflexions sur le travail à distance (remote working), nous avons décidé à la CFTC, de participer au débat en lui faisant parvenir un courrier, en anglais, de 4 pages pour lui faire part de notre position. Pour faciliter sa lecture, le voici en français. Il est bien entendu encore trop tôt pour préjuger d’une réponse (ou pas) de sa part, ainsi que de ses effets éventuels.


 

 

Lettre à Mike Norris.

Bonjour Mike,

Pour faire suite à votre This Week du 19 mars concernant votre réflexion sur le télétravail, nous tenons à la CFTC (Organisation Syndicale chez Computacenter France) à vous faire partager notre réflexion sur le sujet. Nous prônons auprès de notre Direction française un dialogue social constructif par l’échange de bonnes pratiques et essayons autant que nous le pouvons, d’améliorer ce qui peut l’être pour le bien des salariés et de l’entreprise.

Depuis près d’un an maintenant, le monde vit avec cette pandémie qui n’en finit pas de durer. Si nous sommes tous à souhaiter retourner à une vie normale, force est de constater que notre rapport au travail a profondément changé. Les salariés ont appris à travailler à distance, apprennent à faire la part entre vie privée et professionnelle et ont à plusieurs reprises, démontrés qu’ils sont aussi performants, sinon plus, dans ce nouveau mode d’organisation du travail.

Rarement un sujet concernant les négociations syndicales chez Computacenter France aura autant passionné. Plus de 800 personnes ont répondu à l’enquête de notre direction sur le télétravail, et nombres d’entre elles continuent à nous faire part de leur avis sur le sujet. Les résultats montrent que 95 % des collaborateurs souhaitent continuer à travailler à distance lorsque la pandémie sera derrière nous et en entrant un peu plus dans les détails, ils sont 74 % à vouloir faire du télétravail 3 jours par semaine et plus.

Si on s’attarde sur les 3 principaux points négatifs et positifs du télétravail, on constate dans :

Les points négatifs :
- 381 répondants mettent en avant un manque de lien social et un isolement.
- 327 d’entre eux, font le constat d’un mobilier de bureau inadapté.
- 213, d’une augmentation trop importante de la charge de travail.

Les points positifs :
- 632 répondants constatent une augmentation de leur productivité.
- 486 d’entre eux peuvent passer plus de temps avec leurs proches.
- 462, une réduction du stress du fait de la limitation des déplacements.

Cette partie du questionnaire permettant de choisir plusieurs réponses, il apparait clairement que les points positifs sont plus importants que les négatifs. Même si la perte du lien social est dominante dans les effets négatifs, il est largement compensé par les effets positifs. A contrario de notre direction Française, ces résultats ne nous étonnent pas à la CFTC. En effet, nous interpelons régulièrement cette dernière sur les mauvaises conditions de travail et les risques psychosociaux en découlant ; très souvent minimisés et pourtant liés aussi au travail en présentiel.
Le bilan social (avec les données relatives au nombre de jours d’arrêt de travail) montre d’ailleurs une nette diminution du nombre de jours d’absentéisme en 2020 ainsi que les économies réalisées, malgré cette situation de COVID-19.

A ce constat, et selon le Boston Consulting Group, le télétravail aurait permis de sauver 250.000 emplois en France. Selon les analystes américains, qui ont également enquêté aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et au Japon, 70% des managers français seraient prêts à sauter le pas. De plus, 42% des entreprises estiment que les salariés resteront en télétravail après la pandémie.

Fort de ces constats, nous pensons à la CFTC que le travail à distance est devenu une autre forme d’Organisation du Travail qu’il faut prendre en considération dans son ensemble. Ainsi, il est important de comprendre que l’Entreprise (dans sa globalité) n’est plus le seul lieu ou un salarié peut exercer son activité professionnelle. N’importe quel endroit peut devenir un lieu de travail à partir duquel un employé peut travailler, à partir du moment où les conditions propices au travail sont réunies.

Dès qu’il est accepté que le travail à distance est une forme d’organisation du travail comme une autre, il n’est plus nécessaire de se poser la question en termes de nombre de jour par semaine devant être effectué en présentiel et encore moins en termes d’obligation, c’est-à-dire obliger par exemple les salariés à être en télétravail 2 jours par semaine.
De plus le télétravail ne doit s’imposer à personne. Il s’agit avant tout d’un « contrat » entre le collaborateur et Computacenter, qui doit être gagnant / gagnant. De notre point de vue, le salarié doit tout mettre en œuvre pour satisfaire aux exigences de qualité et de productivité qui lui sont demandées, et Computacenter doit tout mettre œuvre pour lui accorder un environnement propice à la réalisation de son travail. Pour cela, nous avons proposé à la Direction Computacenter France les thématiques et objectifs suivants :

  • L’épanouissement des salariés dans leur travail par l’amélioration de la Qualité de Vie au Travail à Distance. (Horaires fixes, conservation du lien social grâce aux outils de communications comme TEAMS mais aussi l’organisation de réunions en présentielles, adapter le travail à soi et non l’inverse, aménagement du poste de travail avec du mobilier adapté…)
  • La protection des salariés grâce à la mise en place de nouveaux droits. (Reconnaissance du domicile comme lieu de travail, versement d’une indemnité compensatoire pour faire face à l’augmentation des charges liées à l’occupation de son domicile (ex : facture d’électricité, gaz, eau…), accès à de nouvelles formations, comme par exemple « mieux gérer son temps de travail », suivi actif des salariés pour faire face aux difficultés rencontrées…)
  • Répondre aux exigences de notre Direction sur les points de performances et de qualité. (Faciliter la transition managériale vers ce nouveau mode d’organisation, permettre le suivi de la performance sans intrusion et flicage inapproprié, donner au manager la possibilité d’adapter son mode de management pour veiller à proposer un environnement de travail propice à la bonne collaboration et cohésion de ses équipes…)
  • Pouvoir travailler à distance jusqu'à 5 jours par semaine ce qui ne signifie pas que le collaborateur pourra opposer à son manager un refus d’une réunion en présentielle par exemple, mais qu’il aura la possibilité de faire 5 jours de télétravail dans une semaine si son travail, l’organisation du service, sa faculté de s’organiser, etc. lui permet de le faire.
  • Le manager reste maître de l’organisation de son service. Par exemple, si une réponse à un appel d’offre, ou une situation technique particulière exige que les collaborateurs d’un service soient présents sur site pendant plusieurs jours (voir semaines consécutives) pour des soucis de confidentialité, d’efficacité, etc. ils ne peuvent pas s’y opposer.
  • Permettre à chaque service de s’organiser et s’entendre, après une discussion entre les collaborateurs et les managers, sur un rythme de travail défini. Ainsi, si nous prenons l’exemple du GIO, cela pourrait permettre à ceux qui désirent télétravailler, de pouvoir le faire trois semaines sur quatre.

Bien que certaines choses aient déjà été mises en place comme des outils pour aider au télétravail, les premières réunions que nous avons eues nous laissent à penser que nous serons très loin des thématiques et objectifs que nous vous avons présentés ci-dessus, notamment sur les thèmes de la qualité de vie au travail à distance, la protection des collaborateurs et la mise en place de nouveaux droits. Pour exemples, il n’est pas question à ce jour pour notre Direction Française de prendre en charge (ou de participer) à l’aménagement de l’environnement de travail du collaborateur lorsque ce dernier souhaite faire (ou continuer à faire) du télétravail, ni même de verser une participation qui couvrirait une partie de l’augmentation des charges que subit un salarié en situation de télétravail.

Même si le travail à distance est désormais accessible à quasiment tous les corps de métier chez Computacenter, il y a aussi une grande partie de nos collaborateurs (Force de vente, Consultants, Techniciens - TRG -) qui sont nomades. Nous avons demandé d’aborder cet aspect lors des négociations pour mieux définir ce statut particulier mais nous doutons que ce sujet soit traité comme il se doit.

Plus généralement, et concernant votre point de vue macro-économique, nous pensons que le travail à distance est un accélérateur formidable du déploiement du réseau de communication Très Haut Débit (THD) de zones jusqu’alors sinistrées ; pourtant proches des grandes métropoles. Pour prendre un exemple concret, la fibre optique qui était prévue au mieux pour un raccordement possible au domicile d’un salarié au mois d’avril de cette année, est arrivée avec deux mois d’avance, ce qui lui a permis de disposer d’une connexion d’un débit de 2 Gb/s en descendant et 600 mo/s en montant.

Le déploiement de la fibre optique et de la 5G va accélérer, quoiqu’on en pense, le travail à distance. Lors du premier confinement, de nombreux salariés habitants les grandes villes ont profité de déménager, soit pour changer de travail, soit pour exercer leur métier dans un cadre de vie plus agréable, et la tendance n’est pas prête à s’inverser. En effet, selon une étude de YouGov publiée fin novembre 2020, les Français sont 25% à vouloir déménager. Une part qui grimpe à 41% chez les 25-34 ans et à 33% chez les 35-44 ans. L’étude met aussi l’accent sur le fait que plus ils habitent une ville importante, plus les Français sont nombreux à souhaiter changer d’habitation. Dans les communes de plus de 100 000 habitants, 38% des habitants souhaitent déménager dans un an ou plus, qu’ils soient locataires ou propriétaires. Si 61% des habitants d’une métropole et de sa périphérie souhaitent se rapprocher de la campagne lors de leur prochain déménagement, ils ne sont que 14% à vouloir faire le chemin inverse. Chaque année, sept millions de Français déménagent.

Nombres d’entre eux qui travaillent pour des grands groupes (qui sont le cœur de cible notre société) devront être équipés avec des solutions informatiques complexes ne serait-ce que pour renforcer la sécurité entre leur réseau domestique et celui de l’entreprise... Là où vous voyez une extension du marché mondial des compétences (ce qui est vrai aussi), nous y voyons de nouvelles opportunités pour Computacenter (et donc de nouveaux emplois en local) à condition que nous sachons les saisir.

Enfin, à la CFTC, nous sommes persuadés que le triptyque salaires-emplois-compétences n’est pas antinomique dans un grand groupe tel que Computacenter, tourné vers l’avenir, qui se veut agile et appelé à le devenir encore plus. A cela nous y rajoutons la Qualité de Vie au Travail, qui est aussi un critère de choix pour attirer et conserver des compétences dont nous avons besoin. Le travail à distance en fait partie, et c’est la raison pour laquelle il nous parait indispensable de réussir cette transition vers ce nouveau mode d’organisation du travail. Le seul moyen d’y parvenir est de considérer cette transition comme un véritable investissement qui sera à terme créateur de richesses et non comme une dépense supplémentaire à laquelle on ne peut échapper.

Nous vous remercions d’avoir pris de votre temps pour avoir lu notre courrier jusqu’au bout et nous espérons que notre vision, nos arguments apporteront à votre réflexion.
Nous espérons aussi obtenir les moyens financiers et organisationnels suffisants pour que cette transition soit le symbole d’un véritable succès.